Les soins pour tous, des dispensaires aux centres de santé

Quelle place occupent les centres de santé dans le paysage et les réformes des soins primaires en France aujourd'hui ? Julia Legrand et Laure Pitti, sociologues, sont interrogées sur cette question d'actualité. Elles ont mené à l'Irdes une étude sur les centres de santé engagés dans l'expérimentation d'un Paiement en équipe de professionnels de santé (Peps), et ont publié en janvier 2024 un Questions d'économie de la santé intitulé : "Des expérimentateurs et promoteurs inattendus : mise en œuvre, effets et usages de l'expérimentation Peps dans 16 centres de santé".

Le podcast 3 - juillet 2024 est à écouter sur le site de l'IRDES.

Du déséquilibre économique

"Le modèle de centre de santé polyvalent apparait intrinsèquement déséquilibré dans un modèle de rémunération à l’acte. Cette situation s’explique par le fait que les cds ont une large part de prévention et d’accompagnement des populations vulnérables dans leur activité. Or ce type de prise en charge ne correspond à aucun acte codifié et ne sont donc pas remboursés par l’assurance maladie. C’est d’ailleurs ce que vient corriger l’expérimentation d’une rémunération au forfait de soins La prise en charge des populations vulnérables découle de l’obligation des centres de santé de soigner tout le monde et notamment les personnes que certains médecins libéraux refusent comme les patients sous le régime de la complémentaire santé solidaire ou encore de l’aide médicale de l’Etat. Cette situation conduit les cds a accueillir des personnes plus éloignés des soins, aux faibles revenus donc en moins bonne santé qui cumulent souvent plusieurs pathologies dont des maladies chroniques ce qui demande un temps de consultation plus long auquel la rémunération à l’acte n’est pas adaptée."

De la pertinence du modèle

"Les centres de santé ont une histoire et une situation géographique en territoire populaire qui leur permet de répondre efficacement à 3 enjeux de santé actuels :

  1. L’augmentation des maladies chroniques qui fait partout dans le monde de la prévention et de l’ETP un impératif sanitaire
  2. L’augmentation des inégalités sociales de santé et d’accès aux soins particulièrement marquée en France (insee 2021 en France – 37,5% de la population déclare un problème de santé chronique ou durable – 45% parmi les personnes en situation de pauvreté ou d’exclusion sociale)
  3. Le contexte des déserts de soins, il manque des médecins et d’autres professionnels qui contribuent à la bonne santé des populations.

Or les centres de santé développent une médecine sociale c’est-à-dire l’accès de toutes et tous à la santé et ce type de médecine apparait particulièrement important aujourd’hui car les plus pauvres sont aussi ceux qui sont le plus privés des moyens de prendre soin de leur santé au quotidien. Exp. quartier nord de Marseille

On sait aussi que les médecins généralistes les plus jeunes veulent travailler en collectif et avoir des horaires de travail réguliers. Ils sont aussi attirés par le salariat donc l’exercice en centre de santé présentent de nombreux attraits pour eux."

De la politique de santé publique et d’accès aux soins

"En France les centres de santé peuvent pleinement tenir ce rôle du fait de leur activité à la fois curative et préventive et de leur pratique ancienne et bien rodée de coordination des soins. Mais la question c’est la pérennisation de ce type d’établissement parce que dans le système actuel de rémunération à l’acte ces structures ne peuvent pas être à l’équilibre budgétaire et certaines finissent par faire faillite."

De l’intérêt de leur développement

"Les centres de santé à but non lucratif contribuent à réduire les inégalités d’accès aux soins en garantissant un service public de santé, de proximité, de qualité mais leur modèle économique reste à consolider. Il y a de réels enjeux à développer et à pérenniser ce type de structures si on veut des soins de qualité pour toutes et tous. Certaines municipalités ont déjà pris la décision de soutenir activement les centres de santé. On voit tout l’intérêt de favoriser ces modes d’organisations des soins de proximité qui répondent aux enjeux d’accès équitable et de qualité tout en correspondant aux aspirations d’une partie des professionnels de santé."